15‣ Encourager la prise de risque

Comment une pratique alternative de notation encourage-t-elle la prise de risque intellectuel et transforme-t-elle la motivation des élèves ?

15‣ Encourager la prise de risque
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Cette expérimentation systématique de la pratique alternative de notation (PAN) vérifie son impact sur la motivation selon le modèle de Viau. Un portfolio de 14 artefacts avec jetons de reprise remplace les notes traditionnelles, encourageant la prise de risque intellectuel. Les résultats révèlent une progression positive : une meilleure perception de la valeur des apprentissages, un meilleur sentiment de compétence et une meilleure autorégulation.

Une dynamique à comprendre

► POUR analyser rigoureusement l'impact de la PAN sur la motivation, j'ai utilisé le modèle de la dynamique motivationnelle développé par Rolland Viau (2009). Ce modèle est particulièrement pertinent en contexte scolaire, parce qu’il permet d'observer l'interaction entre les perceptions des élèves et leurs comportements.

Selon Viau, trois sources principales influencent la motivation : la perception de la valeur d'une activité (pourquoi la faire ?), la perception de sa compétence à l'accomplir (suis-je capable ?) et la perception de contrôlabilité (ai-je mon mot à dire ?). Ces perceptions se manifestent ensuite à travers l'engagement cognitif, la persévérance et l'apprentissage.

L'un des avantages du système de monitorage que j’ai mis en place depuis quelques mois est qu'il permet d'évaluer quantitativement l'évolution de la motivation selon le modèle de Viau. En effet, dans mon cours, la PAN s'appuie sur un portfolio de 14 artefacts qui permettent de suivre régulièrement l'engagement et la performance des élèves. En complément, un questionnaire d'évaluation remis en fin de trimestre (n=44) documente leurs perceptions.

La valeur perçue des activités

Les données du questionnaire montrent que la PAN influence positivement la perception de la valeur des apprentissages. Ainsi, 84% des élèves considèrent que les compétences développées leur seront utiles dans leurs études futures et 73% estiment pouvoir les appliquer dans d'autres cours. Plus spécifiquement, 71% jugent que l'approche ELLAC utilisée les aide à mieux comprendre et analyser les textes.

Les commentaires qualitatifs confirment cette perception positive. Les élèves apprécient particulièrement trois aspects du système :

  • La compréhension de leurs erreurs (14 mentions)
  • La réduction du stress lié aux notes (11 mentions)
  • La visibilité de leur progression (8 mentions)

Cette valorisation s'explique notamment par le fait que la PAN s'inscrit dans ce que Talbert (2023) appelle une «boucle de croissance». Plutôt que de pénaliser les erreurs, le système encourage leur identification et leur correction via des jetons de reprise. Les élèves peuvent ainsi se concentrer sur leurs apprentissages plutôt que sur «la chasse aux points».

Le développement du sentiment de compétence

La matrice de suivi hebdomadaire indique une nette progression du sentiment de compétence au fil du trimestre. La proportion de diagnostics positifs («progression normale» ou meilleure) est passée de 45% en semaine 1 à 65% en semaine 13.

Cette évolution se reflète dans le questionnaire où 82% des élèves rapportent se sentir plus confiants dans leur capacité à analyser des textes. Plus important encore, 84% indiquent une meilleure conscience de leurs forces et faiblesses. Comme le souligne Viau, cette capacité d'autoévaluation est très importante pour le développement de l'autonomie.

Les rétroactions détaillées associées à chaque artefact jouent un rôle central dans cette progression. En recevant des commentaires précis sur leurs réalisations et des pistes d'amélioration concrètes, les élèves peuvent mieux situer leurs apprentissages et identifier leurs prochains défis.

Une plus grande autonomie

L'un des effets les plus marquants de la PAN concerne le sentiment de contrôlabilité des élèves sur leurs apprentissages. Les jetons de reprise leur donnent un levier concret pour agir sur leur progression : pour l’instant, 45% les ont utilisés de façon stratégique.

Le questionnaire révèle que 75% des élèves estiment que cette approche les aide à développer de meilleures stratégies d'autorégulation. Les données de la matrice confirment cette perception : le taux de complétion des artefacts s’est maintenu pendant tout le trimestres, oscillant entre 96,4% au début à 95,5% à la fin, témoignant d'un engagement soutenu.

Des manifestations encourageantes

L'engagement cognitif, première manifestation observable de la motivation selon Viau, peut être mesuré par l'indice composite ACP (Assiduité × Complétion × Performance). Cet indice s’est maintenu entre 0,576 et 0,568 entre le début et la fin du trimestre, avec 65% des élèves montrant une amélioration.

La persévérance se traduit par des taux remarquables d'assiduité (progression de 0,924 à 0,951) et de complétion des travaux (évolution de 0,964 à 0,955). Plus de 80% des élèves ont maintenu ou amélioré ces indices, démontrant un engagement soutenu dans leur apprentissage.

Enfin, l'apprentissage lui-même s'est amélioré comme en témoigne la progression de l'indice de performance littéracique (P) pour 70% des élèves. Plus significatif encore, 79% des répondants au questionnaire indiquent une meilleure compréhension des textes littéraires.

Ce graphique montre l'évolution de sept indices clés qui mesurent différents aspects de l'apprentissage sur une période de 12 semaines. Deux tendances principales se dégagent : d'une part, les indices liés à la participation (assiduité, complétion et mobilisation) se maintiennent à des niveaux élevés et stables, oscillant autour de 90-95%. D'autre part, les indices de réussite (engagement, rendement et performance) montrent une progression graduelle et constante, passant d'environ 50% à 60%. Parallèlement, le risque d'échec diminue progressivement de 50% à environ 42%.

Deux approches en contraste

Les recherches récentes en éducation remettent fondamentalement en question notre attachement au système de notation traditionnel. Comme le souligne Susan Blum (2020), ce système présente des incohérences majeures : les notes varient considérablement selon les évaluateurs, combinent souvent des éléments non liés aux apprentissages (participation, retards, etc.) et donnent une information pauvre sur les progrès réels des élèves. Le Conseil supérieur de l'éducation (2018) va plus loin en affirmant que les notes «ont une valeur informative pauvre et contribuent à véhiculer une vision techniciste et comptable de l'évaluation».

Cette critique trouve une illustration éloquente dans la comparaison de deux approches que j'ai menées en parallèle pendant le trimestre. Les graphiques ci-dessus montrent l'évolution des diagnostics selon une approche sommative traditionnelle et selon la PAN pour les mêmes élèves. La différence est assez frappante.

Dans l'approche sommative, les trajectoires individuelles montrent une certaine inertie : les performances initiales plus faibles continuent de peser dans le diagnostic final à cause du cumul des notes. Cette «moyenne qui nous poursuit», comme l'appellent Talbert et Clark (2023), peut avoir un effet démotivant puisque les efforts d'amélioration sont mathématiquement limités par les premières notes.
En revanche, les trajectoires en PAN présentent une plus grande volatilité. Si cela peut sembler déstabilisant au premier abord, cette volatilité reflète en réalité la nature non-linéaire de l'apprentissage, faite de progressions, de plateaux et parfois de reculs temporaires. Plus important encore, en se concentrant sur les apprentissages récents plutôt que sur un cumul historique, la PAN offre un portrait plus fidèle des compétences réellement acquises par l'élève.

Cette différence illustre bien ce que Nilson (2014) appelle le passage d'une «logique de contrôle» à une «logique de croissance». Là où le système traditionnel fige les élèves dans leurs performances initiales, la PAN leur permet de voir leurs progrès et valorise leurs efforts d'amélioration jusqu'à la fin du parcours.

Vers une évaluation qui compte vraiment

Ces résultats encourageants confirment que la PAN peut contribuer positivement à la dynamique motivationnelle des élèves. En alignant les pratiques d'évaluation sur les finalités identifiées par le Conseil supérieur de l'éducation — soutenir l'apprentissage et témoigner des acquis — elle permet de sortir de «la logique comptable» traditionnelle.

Cependant, cette transformation exige un changement de paradigme qui n'est pas sans défis. Environ 32% des élèves expriment encore le besoin d'avoir des notes chiffrées pour «savoir où ils se situent». Cette tension entre les habitudes héritées du système traditionnel et les nouvelles pratiques mérite d'être explorée plus avant.

Pour l'instant, les données recueillies suggèrent qu'une évaluation critériée, associée à des rétroactions de qualité, peut effectivement soutenir la motivation tout en permettant de témoigner adéquatement des acquis. C'est peut-être là que réside la clé d'une évaluation qui compte vraiment. _ ◀︎

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Publié le 3 décembre 2024 · Révisé le 7 juillet 2025

Références

Arseneault-Hubert, F., Cormier, C. et Voisard, B. (2024). Les pratiques alternatives de notation : Pour mieux soutenir les apprentissages et en témoigner. Pédagogie collégiale, 37(2), 27. [En ligne]

Blum, S. D. (dir.) (2020). Ungrading: Why Rating Students Undermines Learning (and What to Do Instead). West Virginia University Press.

Clark, R. et Talbert, R. (2023). Grading for Growth: A Guide to Alternative Grading Practices that Promote Authentic Learning and Student Engagement. Stylus Publishing.

Nilson, L. B. (2014). Specifications Grading: Restoring Rigor, Motivating Students, and Saving Faculty Time. Stylus Publishing.

Viau, R. (2009). La motivation à apprendre en milieu scolaire. Éditions du renouveau pédagogique (ERPI).

À explorer

Pour comprendre les fondements théoriques :

Pour maîtriser le cadre d'évaluation :

  • 7‣ Dépister avec la taxonomie SOLO - Les niveaux IDME (Insuffisant, Développement, Maîtrisé, Étendu) qui structurent l'évaluation qualitative et génèrent les données quantitatives d'amélioration motivationnelle présentées dans cette analyse

Pour voir l'application concrète :

Pour approfondir la transformation émotionnelle :

  • 21‣ Alléger la charge de l'évaluation - Comment la PAN redéfinit l'erreur comme "étape naturelle plutôt que fatalité" et transforme le climat d'apprentissage, créant les conditions psychologiques favorables à la prise de risque intellectuel
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